Nous relayons un article du Monde qui nous semble trés important :
“La toxicologie réglementaire ne suffit plus”
Publié par : LE MONDE Le : 16.05.2012
Directeur de l’unité 747 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm-université Paris-Descartes), Robert Barouki copréside le comité d’organisation de la troisième conférence internationale Programmation prénatale et toxicité (PPTox), qui s’est tenue à Paris du 14 au 16 mai. Il fait le point sur les nouvelles connaissances sur le rôle des facteurs environnementaux dans le développement des maladies non transmissibles.
Quel était l’objet de cette conférence ?
L’initiative est partie d’un groupe de chercheurs travaillant sur les effets de facteurs environnementaux. Outre le soutien de la Société de toxicologie américaine, cette troisième édition a bénéficié de celui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des Instituts nationaux de la santé américains. Côté français, nous avons eu l’appui de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui fédère huit organismes de recherche publique.
Pour la première fois, la conférence a soulevé la question des similitudes entre les déséquilibres nutritionnels au cours de la période foetale et les expositions à des composés chimiques, qui aboutissent aux mêmes effets.
Dans quel domaine avez-vous constaté le plus d’avancées ?
Auparavant, nous ne pouvions nous appuyer que sur des études épidémiologiques. A présent, s’y ajoutent des études expérimentales et l’observation de ce qui se passe après des expositions à des produits chimiques. Dans toutes les disciplines – immunologie, cancérologie, cardiologie… -, et pas seulement en endocrinologie nous voyons sortir des publications touchant à ces sujets.
Comment expliquer les liens entre l’exposition à des substances chimiques et les pathologies ultérieures ?
Nous ne savons pas encore clairement si un produit chimique entraîne une maladie particulière. Souvent, des gènes impliqués dans des fonctions différentes sont concernés. Nous ne sommes pas dans la situation où une hypothèse permettrait de tout expliquer. Ainsi, l’exposition aux dioxines et aux PCB favorise l’augmentation des cancers de tous types, mais aussi celle des troubles métaboliques.
Jusqu’ici, l’attention se portait plutôt vers les modifications affectant les gènes…
Les connaissances sur le rôle des facteurs environnementaux dans le développement des maladies non transmissibles ont beaucoup bénéficié de l’apport de l’épigénétique, c’est-à-dire de l’étude de ce qui influence l’expression des gènes. Elle étaye, au niveau moléculaire, l’hypothèse d’une programmation fonctionnelle se produisant au cours du développement, notamment en période périnatale. Les molécules en cause dans l’origine de maladies ultérieures ne modifient pas la structure des gènes et, jusqu’à présent, on ne comprenait pas comment elles pouvaient entraîner l’apparition de maladies à l’âge adulte. D’autant que la démonstration d’une exposition in utero ou en période périnatale est difficile à apporter.
Il faut rester prudent, mais si l’on observe des modifications épigénétiques et des manifestations pathologiques ultérieures, cela sera un signe que l’hypothèse est la bonne. Ce qui est important, c’est qu’à présent nous savons où chercher et ce qui peut affecter l’expression des gènes.
Cette conférence a donné lieu à un document consensuel faisant la somme des connaissances…
Il insiste sur le fait que la plasticité – la capacité de l’organisme à s’adapter – est maximale au cours des périodes prénatales et immédiatement postnatales, puisque c’est à ce moment que se produisent la différenciation cellulaire et la formation de tissus spécifiques. Ce document veut aussi alerter, car il existe de plus en plus d’arguments pour affirmer que les déséquilibres nutritionnels et les expositions pendant la période périnatale peuvent s’accompagner d’un accroissement du risque d’apparition de maladies à l’âge adulte. De plus, il existe des bases pour identifier des mécanismes épigénétiques possibles. Il nous reste du travail pour démontrer comment les modifications épigénétiques périnatales provoquent des maladies à l’âge adulte.
Quelles sont les conséquences en termes de santé publique ?
Les effets des produits chimiques sont constatés chez l’animal, pendant la période prénatale, à des doses plus faibles que celles entraînant des effets à l’âge adulte. Il est indispensable de reconnaître la période périnatale comme présentant une vulnérabilité particulière. Il faut en tenir compte dans les tests, qui ont été mis au point chez l’adulte. La toxicologie utilisée dans les activités réglementaires ne suffit plus. Avant même d’interdire un produit, nous devons avoir une approche protectrice pour la femme enceinte et les enfants, comme c’est le cas pour les médicaments. La précaution s’impose.
Propos recueillis par Paul Benkimoun