Urgence annonce le Lancet face aux dérèglements climatiques

Désormais tous les chercheurs scientifiques et médecins sont unanimes:, ils lancent un appel à l’action immédiate au nom de la  Santé et  face au changement climatique.

Agir contre le changement climatique est à la fois une urgence et l’opportunité d’accomplir les plus grands progrès pour la santé publique au cours du 21e siècle. C’est en ces termes que le rapport de la Commission du Lancet sur la santé et le changement climatique présente le défi posé à l’humanité.
Mis en ligne mardi 23 juin sur le site de l’hebdomadaire médical britannique, le document a été rédigé par une équipe universitaire multidisciplinaire européenne et chinoise.
Il s’inscrit dans le cadre d’une collaboration entre The Lancet et le University College de Londres (UCL) qui avait abouti a un premier rapport en 2009 sur la gestion des effets sanitaires du changement climatique. Le rapport de 2009 avait identifié le changement climatique comme « la plus grande menace mondiale pour la santé publique au 21e siècle ». Celui de 2015 estime que « les effets du changement climatique sont déjà perceptibles aujourd’hui et les projections pour l’avenir représentent un risque potentiellement catastrophique d’une ampleur inacceptable pour la santé humaine ».
« Nous sommes partis du constat scientifiquement établi de la menace imminente que constitue l’impact du changement climatique sur la santé », explique Nick Watts (Institute for Global Health, UCL), l’un des quatre coordonnateurs du rapport. La commission voit en effet le danger de voir remis en question les gains en matière de développement et de santé mondiale acquis au cours du précédent demi-siècle.
Cela résulterait des effets directs du changement climatiques que constituent l’accroissement du stress thermique (accumulation de chaleur dans l’organisme), les inondations, la sécheresse et l’augmentation des événements extrêmes comme les tempêtes. Mais s’y ajoutent ses effets indirects, tels la pollution de l’air, l’extension des maladies transmises par des vecteurs (moustiques…), les déplacements de populations et les pathologies mentales comme le stress post-traumatique que provoquent les événements climatiques extrêmes.
« C’est pour cela que nous sommes allés au-delà de ce constat pour traiter des réponses politiques destinées à protéger et à favoriser la santé publique, par exemple en réduisant l’utilisation les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation du charbon, en concevant des villes pour les gens et non pour les voitures, en favorisant les transports actifs », poursuit Nick Watts.
Le constat et la nécessité d’agir sont partagés en France par Agnès Lefranc, directrice du département santé environnement de l’Institut de veille sanitaire (InVS): « Les effets directs de l’élévation des températures et des événements extrêmes sont à présent bien établis. Les connaissances scientifiques montrent que le changement climatique, du fait de ces effets directs et d’effets indirects, a des conséquences notables sur la santé. Il est donc impératif d’agir. Agir, cela signifie à la fois limiter les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi s’adapter au changement climatique déja accompli du fait des émissions passées. Nous avons émis beaucoup de gaz à effet de serre et nous n’allons pas revenir en arrière en arrêtant les émissions. Même avec un scénario limitant à 2°C l’augmentation de la température il y aura un impact sur la santé des populations. »
« Si nous agissons maintenant, nous pourrons reprendre le contrôle sur le changement climatique et si nous prenons les bonnes mesures, nous obtiendrons des co-bénéfices. Par exemple en diminuant les émissions de gaz à effet de serre, nous réduirons également les autres polluants comme les particules et les oxydes d’azote. La promotion des combustibles propres pour le chauffage et la cuisine dans les pays en développement diminuera la pollution de l’air intérieur », estime Agnès Lefranc.
Le rapport se fait bien sûr l’écho de la dimension économique des conséquences du changement climatique. « L’Union européenne a évalué à 1600 milliards de dollars (1400 milliards d’euros) le coût annuel de la pollution de l’air extérieur », indique Nick Watts. « La Commission européenne a estimé que dans la seule Union européenne, la réduction de la pollution de l’air découlant des politiques de limitation du changement climatique pourrait entraîner des bénéfices évalués à 38 milliards d’euros par an d’ici à 2050 grâce à une réduction de la mortalité », précise le rapport publié par The Lancet.
« De même, ajoute Nick Watts, la promotion des transports actifs (marche, vélo…) réduirait la fréquence de l’obésité et du diabète et le développement des espaces verts aurait des effets bénéfiques pour la santé mentale. Si certains bénéfices ou bénéfices secondaires mettront du temps à être ressentis l’impact positif sur les maladies cardiovasculaires qu’auraient des mesures comme l’élimination progressive du charbon du bouquet énergétique serait éprouvé beaucoup plus rapidement. Nous l’avons vu avec la lutte contre le tabagisme où dans les deux ou trois semaines après l’arrêt du tabac, il y a une diminution des événements coronariens ».
Le rapport de la commission du Lancet reproduit un graphique tiré d’une étude du Pew Research Center en 2013 sur les perceptions de l’ampleur de la menace que représente le changement climatique dans 39 pays. On y voit la forte prise de conscience dans les différentes régions du monde mais aussi la sous-estimation présente aux Etats-Unis où le climatoscepticisme compte beaucoup de tenants et de puissants soutiens financiers.
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Nick Watts réagit vivement à cette situation : « Il y a assez de preuves, même si la démarche scientifique nous impose de poursuivre les études. Lorsqu’un médecin voit arriver un enfant avec une éruption cutanée, de la fièvre, une raideur de la nuque… il effectue des prélèvements biologiques qui vont être analysés à la recherche de bactéries ou de virus. Mais sans attendre, il va immédiatement mettre l’enfant sous antibiotique car il présente les symptômes d’une méningite. C’est la même chose pour le climat ».
L’éditorial du Lancet accompagnant le rapport presse les dirigeants du monde de passer à l’action et de ne pas s’en tenir aux paroles. Il rappelle qu’en 2014, pour la sixième année consécutive, l’économie mondiale n’a pas atteint les objectifs fixés de réduction des émissions de carbone nécessaires à limiter le réchauffement planétaire à 2°C. Il remarque cependant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « a réuni le mois dernier sa première conférence sur la santé et le climat, où ont été reconnues la nécessité de renforcer la résilience face au changement climatique et l’opportunité de réaliser des gains pour la santé publique à travers des mesures de limitation bien planifiées ».
« Nous avons une très bonne collaboration avec l’OMS. Elle accompli un travail inestimable et il faut qu’elle dispose de davantage de fonds pour aller plus loin et aider à préparer les systèmes de santé des pays à revenu faible ou intermédiaire au changement climatique », souligne Nick Watts. C’est là la deuxième des dix recommandations aux gouvernements pour les cinq prochaines années que formule la commission. La première les invite à « investir dans la recherche, le suivi et la surveillance du changement climatique afin de mieux comprendre les besoins d’adaptation et les co-bénéfices sanitaires potentiels de la limitation du climat aux niveaux local et national ».
La parution de ce rapport est saluée par le Dr Maria Neira, directrice du département Santé publique et environnement de l’OMS, qui annonce des initiatives telles que le développement d’une platefome de surveillance de la pollution de l’air, faisant appel à des données satellitaires et la campagne « Ma santé, mon climat ». Cette dernière, détaille Maria Neira « vise à donner un rôle au système de santé et aux médecins dans la lutte contre le changement climatique. En particulier, les pneumologues et pédiatres bien placés pour expliquer le lien entre la pollution de l’air et les allergies et l’asthme ». Dans la perspective de la Conférence des parties qui se tiendra en décembre à Paris, poursuit Maria Neira, l’OMS lancera « un grand réseau avec des associations de médecins pour mener cette campagne. les médecins pourront donner l’exemple et dire aux politiques pourquoi ils doivent prendre des mesures contre le changement climatique ».