26 avril : il y a 30 ans Tchernobyl

30 ans après l’explosion de son réacteur 4, la centrale de Tchernobyl n’a pas fini de faire parler d’elle.

Il y a trente ans, à en croire les autorités sanitaires, les Français pouvaient dormir sur leurs deux oreilles : le nuage radioactif de Tchernobyl s’était «arrêté net» aux frontières ! Si cette affirmation a pu en laisser plus d’un sceptique en 1986, il est évident aujourd’hui que la France n’a pas été «totalement épargnée» : comme le démontrent plusieurs études publiées ces derniers jours, des traces de contamination radioactive subsistent encore dans des massifs de l’est de la France, de l’Alsace à la Corse !

Selon plusieurs enquêtes de prélèvements des sols menées à l’occasion des trente ans du cataclysme survenu le 26 avril 1986, les taux de césium 137 — substance radioactive massivement dégagée lors de l’accident — restent encore anormalement élevés dans les sols, les arbres, les animaux et dans certaines plantes se trouvant sur la façade est de l’Hexagone. En revanche, la radioactivité présente sur la façade ouest du pays est plutôt due aux essais nucléaires menés dans le monde au cours des années 1950 et 1960…

Pourquoi des contaminations élevées dans l’est de la France ?

Tchernobyl se situe à près de 2 000 km à l’est de Paris. Selon l’ingénieur en physique nucléaire Bruno Chareyron, membre de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad), « cela s’explique par les conditions météorologiques de l’époque : des vents venus de l’est, des pluies et des amas de neige — notamment dans les massifs alpins où les congères ont formé des zones à forte concentration radioactive — qui ont fait passer dans les sols de fortes quantités de radioactivité ».

La Criirad, qui a fait des analyses dans le Mercantour, arrive à des taux de césium de 10 à 100 fois supérieurs à la norme acceptée. Selon l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro), qui a fait analyser pas moins de 364 échantillons de sols et de denrées en Europe, et qui vient de rendre les résultats de ces analyses publics, on peut encore compter jusqu’à 68 000 becquerels par kilo dans les sols des Alpes.

Est-ce grave ?
Contrairement à ce qu’estime l’Institut national de veille sanitaire (InVS, le docteur Denis Fauconnier, médecin généraliste en Corse, l’un des premiers lanceurs d’alerte sur ce sujet, est convaincu du lien entre Tchernobyl et les pathologies de la thyroïde.

Pour autant, « par rapport à ceux de mai-juin 1986, les niveaux de radioactivité d’aujourd’hui sont insignifiants », aucun risque donc selon lui à aller faire du tourisme sur l’Ile de Beauté. Cependant, « il ne faut pas planter sa tente à un endroit qui cumule 60 000 becquerels par mètre carré. Et certainement pas manger des champignons, véritables éponges à radioactivité, dans les zones où se trouvent les plus fortes concentrations de césium ».

Un conseil pertinent… mais tout le monde n’a pas un compteur Geiger dans son sac à dos.

Pour combien de temps encore ?

La radioactivité du césium 137 met trente ans à se réduire de moitié. Il reste donc encore de nombreuses années avant que cette radioactivité disparaisse. Le césium 134, également présent lors de l’accident, devient inactif beaucoup plus rapidement, et on n’en trouve plus trace aujourd’hui.

Un lien non avéré avec le cancer de la thyroïde

Rarement constaté il y a trente ans, le cancer de la thyroïde est désormais l’un des cancers dont la fréquence augmente de manière significative d’année en année dans l’ensemble des pays industrialisés, dont la France. L’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, c’était aussi il y a trente ans.

De là à faire le lien entre les deux, il n’y a qu’un pas que l’Institut de veille sanitaire (InVS)… ne franchit pas. Le dernier bulletin épidémiologique de l’InVS, qui paraît aujourd’hui, fait le point sur les connaissances sur l’évolution de ce type de cancer en France, à l’heure de ce trentième anniversaire.

Et si davantage de cancers de la thyroïde sont observés c’est, selon l’étude, d’abord parce qu’ils sont mieux diagnostiqués, et ce à un stade précoce. «La glande thyroïde est mieux surveillée, notamment lors d’examens réalisés au niveau de la région cervicale pour d’autres indications, et les technologies utilisées sont de plus en plus performantes», indiquent les auteurs, François Bourdillon, directeur général de l’InVS et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), et Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

D’autres facteurs de risque sont également suspectés, comme l’exposition croissante aux rayonnements ionisants — notamment pendant l’enfance — liée aux examens d’imagerie médicale et dentaire. Par ailleurs, les auteurs signalent les fortes disparités d’incidence de ces cancers observées d’un département à l’autre, ne dessinant pas «un gradient géographique cohérent avec celui des retombées de Tchernobyl».
Le sarcophage de Tchernobyl devrait être installé fin 2017

Censée tenir au moins 100 ans, cette nouvelle chape d’acier devrait donner du temps à l’Ukraine pour trouver comment démanteler les restes du réacteur soviétique accidenté.
C’est l’œuvre d’années de travaux et de décennies de réflexion. Alors que l’Ukraine commémore mardi les 30 ans de l’accident nucléaire de Tchernobyl, le sarcophage en acier censé protéger le site accidenté devrait être enfin installé à la fin de l’année prochaine.

Après la catastrophe, une première chape de béton avait été construite à la va-vite dans des conditions très difficiles au-dessus du réacteur numéro 4 accidenté. Mais au fil du temps, cette structure a commencé à se fissurer, menaçant de s’écrouler et d’exposer à l’air libre les 200 tonnes de magma radioactif qu’elle renferme. «On estime qu’il reste à l’intérieur du sarcophage 95% des matériaux radioactifs qui étaient présents dans le réacteur lorsqu’il fonctionnait», expliquait ainsi l’an dernier  Vince Novak, directeur de la sûreté nucléaire à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) qui supervise le suivi de la mise en sûreté de l’ancienne centrale soviétique. Un pourcentage alarmant, puisque les 5 % de la radioactivité dégagée dans l’atmosphère après l’explosion, le 26 avril 1986, ont suffi à contaminer une grande partie de l’Europe. Des travaux de «rafistolage» d’urgence ont donc été réalisés dans les années 2000 mais face à la menace, la communauté internationale s’est engagée à financer la construction d’une nouvelle chape plus solide.

«La plus lourde structure terrestre mobile»
Confiée en 2007 au consortium français Novarka – qui regroupe Bouygues et Vinci -, la réalisation de cette structure métallique s’est faite à quelque 300 mètres de la centrale, sur un terrain préalablement décontaminé et recouvert de béton. Cette nouvelle enceinte de confinement est désormais assemblée. «Il faut toutefois encore installer tout le système interne, indique  Michel Chouha, expert à l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Les ponts roulants par exemple, qui serviront ensuite à réaliser les opérations de démantèlement, ou encore les systèmes internes visant à contrôler les risques d’incendie, le niveau de radioactivité ou la bonne ventilation du site (la structure sera maintenue dans une atmosphère sèche et climatisée pour éviter tout début de corrosion, ). Si l’opération visant à faire glisser l’arche au-dessus de la vieille chape doit avoir lieu fin 2017, l’installation de ces systèmes internes dépend de sous-traitants internationaux, et des retards ne sont pas à exclure.»

Quatre fois plus lourd que la Tour Eiffel, plus haut que la statue de la Liberté, plus large que le Stade de France… Avec ses 105 mètres de haut, ses 260 mètres de large et son poids total de 38.000 tonnes, le sarcophage affiche des mensurations exceptionnelles. Il s’agit même de «la plus lourde structure terrestre mobile», selon Nicolas Caille, directeur du projet chez Novarka.

La taille de la structure est à la hauteur de ses multiples objectifs: isoler la matière radioactive, protéger le vieux sarcophage et surtout préparer et permettre le démantèlement du site et le retrait des matières radioactives qui seront ensuite stockées sur des sites d’entreposage actuellement en projet de construction dans les environs. «Conçu pour durer 100 ans, ce dôme métallique devra résister à des conditions extrêmes, à savoir des températures comprises entre -43° et +45°, des tornades de catégorie 3 (vitesse de vents de 250 à 330 km/h) et des séismes de magnitude 7 sur l’échelle de Richter», peut-on lire sur le site de l’IRSN.

Pour réaliser ce projet titanesque, 1000 à 1500 travailleurs sont à pied d’œuvre chaque jour, enfilant de nouveaux vêtements dès qu’ils pénètrent sur le site et portant constamment un dosimètre pour surveiller les quantités de radiation reçues. Novarka assure qu’aucun cas de contamination n’est à déplorer jusqu’à présent.
Un projet à deux milliards d’euros

Le budget, qui s’élevait initialement à 432 millions d’euros, a plus que quadruplé depuis, pour dépasser les deux milliards d’euros. «On a sous-estimé la nature spécifique de l’assemblage de cette arche, qui aurait été beaucoup plus rapide s’il avait été fait loin de la zone de la centrale accidentée», estime Michel Chouha. Selon lui, le retard pris – l’arche devait au départ être livrée en 2012, soit plus ou moins au moment où les travaux ont réellement démarré – est notamment dû à la complexité des procédures entre Novarka et l’autorité de sûreté nucléaire locale. Aujourd’hui, le budget n’est pas encore totalement bouclé, mais une conférence de donateurs a lieu lundi et mardi à Kiev pour trouver une solution.

Mais ensuite, qui paiera l’entretien du sarcophage? L’Ukraine est censée prendre le relais après 2017 et aura «au moins 100 ans» pour trouver comment démanteler le réacteur accidenté et transformer le site en une «zone écologiquement sûre». Un défi de taille pour un pays actuellement ravagé par un conflit armé et par l’impasse économique.«On ne sait pas du tout quand l’opération va commencer, car elle sera entre les mains de Kiev. Et pour l’instant, rien n’est fait. Ce sera un projet très coûteux et ils ont intérêt à ne pas traîner car on n’est pas à l’abri d’un problème au niveau de l’ancien sarcophage, prévient l’expert de l’IRSN. Et plus il y aura de difficultés à l’intérieur du site, plus l’opération de démantèlement sera longue et périlleuse».