A quand une véritable analyse des résidus médicamenteux dans l’eau?

Nous relayons l’article de Novethic

La présence de médicaments dans l’eau n’est aujourd’hui pas contrôlée.

Pourtant, de plus en plus d’organisations écologistes s’inquiètent des effets environnementaux mais aussi sanitaires de cette contamination. Les industriels de l’eau se préparent d’ailleurs à prendre en compte de nouvelles mesures de qualité de l’eau.

Conséquence directe de notre consommation de médicaments, les eaux de surface contiennent de nombreuses substances thérapeutiques.  Les organismes rejettent en effet plus de la moitié des substances actives absorbées. Résultat, ces produits chimiques se retrouvent dans les eaux usées, puis dans les eaux de surface, les stations d’épuration n’étant pas prévues pour les traiter. Quant aux produits vétérinaires, ils rejoignent directement les eaux de surface par ruissèlement. Si cette contamination est connue, elle ne fait toujours pas l’objet d’une réglementation particulière.

Malgré la proposition de la Commission européenne, la révision de la directive cadre eau cet été n’a pas permis d’inscrire des médicaments parmi la cinquantaine de substances prioritaires à surveiller dans l’eau. « L’opposition des États membres a été la plus forte », regrette Martina Mlinaric, du Bureau européen de l’environnement (BEE). Pour cette responsable des questions politiques, le refus de la surveillance des médicaments par les gouvernements montre « le manque de respect total pour les preuves scientifiques démontrant l’impact des ces substances sur les écosystèmes aquatiques »

(voir “Quels effets des résidus médicamenteux dans l’eau ?” ).

Si le Parlement européen avait voté en 2012 pour l’ajout de substances médicamenteuses dans la surveillance de la qualité de l’eau « sur la base de preuves scientifiques attestant qu’elles peuvent présenter des risques pour la santé », les Etats, eux, continuent d’opposer  des « incertitudes scientifiques ».

Une eau potable ?

En France, le dernier rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), publié en février 2013, conclut effectivement que les risques pour la santé humaine sont négligeables. Mais l’agence reconnait qu’elle manque de données sur l’exposition et sur l’évaluation de la toxicité chronique. Ce rapport, qui intervient dans le cadre du Plan national sur les résidus des médicaments dans les eaux, ne convainc d’ailleurs pas les ONG environnementales. Elles sont de plus en plus nombreuses à considérer que les preuves des effets nocifs des médicaments, en particulier les perturbateurs endocriniens (PE), s’accumulent. France Nature Environnement souligne ainsi « les risques pour les humains sont peu connus, mais l’on soupçonne la résistance aux antibiotiques et le dérèglement du système endocrinien ».

« Aujourd’hui, qu’est ce que l’eau potable ? », interroge André Cicolella, fondateur du Réseau environnement santé. Pour ce toxicologue, les critères de potabilité en vigueur sont obsolètes : « Les analyses bactériologiques ne suffisent plus ; le vrai problème est aujourd’hui la contamination de l’eau par des substances chimiques ». Pour André Cicolella, les méthodes d’analyses même sont inadéquates, parce que la présence de PE dans l’eau (d’origine médicamenteuse ou non) oblige à changer la mesure de la toxicité de l’eau. Le risque est estimé négligeable car les substances médicamenteuses sont à l’état de traces, explique le chimiste, alors que justement l’action hormonale des PE peu intervenir à très faibles doses. L’étude substance par substance serait également inopérante, car elle ne tiendrait pas compte « des effets cocktails ». Par exemple le rapport de l’Anses portait seulement sur 2 médicaments alors que plus de 160 substances médicamenteuses sont retrouvées dans l’eau, dont certaines peuvent interagir entre elles.

Coût prohibitif des traitements

De leur côté, les industriels de l’eau travaillent déjà à évaluer la toxicité biologique de l’eau, autrement dit à mesurer l’effet toxique directement sur les organismes vivants plutôt que de rechercher les substances toxiques. « Face à la difficulté de suivre des milliers de molécules, la tendance va vers une évaluation globale de la toxicité, plutôt que substance par substance », explique ainsi Boris David, directeur du département Environnement et qualité de l’eau à Véolia Eau. Pour réaliser ces analyses, de plus en plus d’outils sont mis à la disposition des industriels, par l’Ineris notamment. Véolia développe aussi ses propres techniques, comme son partenariat avec la start-up Watchfrog qui utilise une grenouille fluorescente pour exprimer la toxicité de l’eau. « Nos clients ne sont pas prêts à payer pour le traitement des médicaments dans l’eau mais ils veulent déjà mieux connaître leurs impacts sur le milieu », explique Boris David.

Le coût du traitement est bien un des freins à une réglementation sur la présence des substances médicamenteuses dans l’eau. Car les méthodes de traitement existent. « On sait faire de l’eau potable avec de l’eau usée », confirme Boris David. « Mais cela représente un renchérissement du coût du traitement de l’eau rédhibitoire pour le politique », estime Martina Mlinaric, du BEE. Ce qui explique selon elle en partie le peu d’empressement à légiférer sur le sujet…

De nombreuses organisations réclament aussi un traitement du problème en amont. Outre une plus grande mesure dans la prescription et dans la consommation de médicaments, France Liberté appelle ainsi à une réglementation plus stricte des conditions d’autorisation des médicaments, au vu de leurs conséquences sur l’environnement. Associé au Plan national sur les résidus des médicaments dans les eaux, le syndicat des industries pharmaceutiques (Leem) explique s’en tenir aujourd’hui à la réglementation.